Le couple déchiffré
marc on 06/21/2015 updated on 07/18/2016
« Le couple déchiffré; De la passion amoureuse à la relation amoureuse »... Le couple vu à travers des citations, internet, des articles,etc.
« L'amour est comme le vent, nous ne savons pas d'où il vient ». Balzac
Du philosophe au poète, de l'historien au sociologue, du sexologue au thérapeute, de l'anthropologue au biologiste, qui n'a pas déjà tenté de comprendre cette alliance de deux êtres, qui, sur la base de leurs différences et de leur « amour », ont la délicate mission de bâtir un projet de vie en commun ?
Définition
Le Larousse définit le couple ainsi : « Personnes unies par le mariage, liées par un pacs ou vivant en concubinage ». Ou encore ; « Ensemble de deux personnes animées d'un même sentiment, d'une même volonté, ou que des intérêts, des affinités, des caractères rapprochent » (ex; un couple d'amis).
Quant à lui, le réseau « de prévention et de lutte contre les violences conjugales de l'arrondissement de Lens » définit le couple comme « une entité formée de deux personnes qui se sont, à un moment donné, définies comme étant un couple ».
La notion d'une entente affective, psychologique et physique qui débuterait à l'instant où deux personnes se rencontrent et décident de vivre ensemble un temps plus ou moins long, me semble, en effet, bien coller à la réalité actuelle du couple.
En étymologie, le mot couple est issu du latin « copula » qui veut dire « chaîne », « liaison », « lien »... Cette notion de lien ou de liaison se conçoit aisément lorsqu'il s'agit d'évoquer cette relation humaine qui conduit deux êtres à vivre ensemble. Il est d'ailleurs intéressant de considérer le couple en terme de lien, dans son double sens; de ce qui aliène, enchaîne ou ligote, mais aussi de celui qui rapproche ou unit deux sujets dans et par un intérêt commun et spécifique.
Il est aussi curieux de noter que le terme « coupable » est issu de la même racine étymologique et que les deux anagrammes du mot couple sont « coulpe » (qui veut dire faute, péché) et « copule »; Faut-il en comprendre que le couple soit un mal nécessaire inventé par notre société pour réguler la sexualité de l'espèce humaine; le couple reproducteur?
En vieux français, une couple signifie deux choses de même espèce mises ou considérées ensemble, mais qui, contrairement à la paire, ne vont pas nécessairement ensemble (comme les souliers, les ciseaux ou les gants). L'emploi de ce terme est encore courant au Québec (Une couple d'heures. Une couple de poulets. Donnez-m ‘en une couple. Etc.). Il apparaît donc que la notion de couple ne décrit pas forcément une paire, mais plutôt une alliance de deux différences qui se construirait autour d'un sens commun.
Précisons enfin que, jusqu'à une époque récente, l'utilisation courante du mot même de couple n'existait quasiment pas: on disait alors "ménage", "foyer", "mariage". Cette évolution langagière semble faire écho au fait que le couple se recentre plus aujourd'hui sur l’affectif et le sexuel, au détriment des autres dimensions, plus sociales – économique, patrimoniale, généalogique – qui caractérisaient autrefois cette union de deux personnes.
Le couple déchiffré
Deux histoires de vie, deux patrimoines individuels qui se trouvent et se conjuguent...voilà donc ce qu'est un couple.
Un couple n'est pourtant pas une paire, car il est toi, moi et nous; Et ce « Nous » est différent de la somme des parties; Tout couple est une entité originale avec sa propre personnalité, mais aussi son histoire unique faite des résonances entre les deux histoires de chacun des membres du couple. Un et un font trois.
Être amoureux, c'est d'abord voir dans celui ou dans celle qui vous aime ce qu'on souhaite y trouver. Ainsi, un couple est un ménage à quatre; toi, moi, ce que tu cherches en moi, et ce que je cherche en toi.
Je ne peux évoquer le couple sans faire référence à l'un de nos plus éminent philosophe, à savoir; Coluche. Celui-ci déclarait, avec Gustave Parking et Sacha Guitry, que « vivre en couple sert à partager à deux les problèmes qu'on n'aurait jamais eus, si on était resté seul ».
En effet, en choisissant un partenaire, nous choisissons aussi une série de problèmes insolubles avec lesquels nous allons devoir vivre (la fréquence des relations sexuelles, le partage des tâches, l'argent, les obligations familiales, l’attitude éducative envers les enfants, etc.). Au titre de ces problèmes, je citerai ici, plus particulièrement, celui de la fameuse - belle-mère - et plus largement le fait que faire le choix de vivre en couple, c'est aussi épouser sa belle-famille.
Finalement, dans un couple, on n’est pas deux mais au minimum six ; Moi, papa, maman, toi, ton père et ta mère… Plus quelques aïeux, le premier amour d’école maternelle, l’oncle Louis et bien d’autres encore…
Si l'une des fonctions importantes du couple semble être de séparer les personnes de leur famille d'origine, le couple est aussi un système complexe qui tricote la multitude des autres systèmes que chaque conjoint apporte en dote.
« Dans l'arithmétique du couple, un plus un égale l'infini »... ( Mc Laughlin)
Et pourtant, le couple est souvent dépeint par de nombreux poètes et écrivains comme une fusion idéalisée de deux êtres. De même, l'une des formes institutionnalisée du couple, le mariage, est consacrée comme une union de deux personnes. Chaque conjoint dit d'ailleurs de l'autre « qu'il est sa moitié ».
A l'évidence, le couple repose sur un mythe fusionnel; Comme si un et un font un, alors qu'un couple est, à l'évidence, deux (mais, rappelons-le, jamais deux sans trois).
En fait, un couple unit les êtres mais ne les dissout pas l'un dans l'autre. L'expression populaire "la colle" traduit bien ce processus de fusion.
Un couple noue, c'est son jeu. L'impossibilité fondamentale, quasi organique, de penser à une séparation amène ainsi le couple à inventer des scénarios propres pour se cimenter et se protéger des autres.
C’est pourquoi, quand « rien ne sert de pourrir et que mieux vaut partir à temps » ou lorsqu’aucune solution de résolution des conflits ne permet plus d'envisager l'avenir au pluriel, il faut être conscient qu'il est souvent plus facile de continuer son couple que de réussir sa séparation ; « Si vivre ensemble nous tue, nous séparer est mortel » (Gérard Decherf, psychanalyste) - « Se séparer, ce n'est pas quitter quelqu'un, c'est se quitter tous les deux » (Sacha Guitry)
Il (ou elle) a trouvé l'homme, ou la femme, de « sa vie ».
Un couple ne se forme pas seulement autour d'un coup de foudre ou d'un projet d'enfants, mais d'abord autour d'une exigence identitaire: En se liant à un partenaire, le « Je » veut demeurer lui-même, tout en inaugurant une phase nouvelle de son histoire personnelle (Hugues Royer); le « je/nous ». Nous devenons amoureux quand nous sommes prêts à nous transformer. Ainsi, l'amour, c'est l'accomplissement de soi avec l'autre.
On est prêt pour la vie à deux, quand la vie à un a fini son évolution. Faire couple, c'est passer du miroir social et familial qui nous reflète, à la relation conjugale qui nous projette. S'élancer vers le " nous ", c'est se dépasser, mais, en même temps, c'est se quitter.
En effet, s’engager implique d’accepter de donner mais aussi de perdre (ou de partager) quelque chose de soi.
Pour chacun des partenaires, la vie à deux est un miroir et un voyage aux confins de soi-même. Le couple a la vertu de dénuder non pas deux amants l'un en face de l'autre, ce qui est l'affaire de l'amour, mais chacun des deux devant soi-même.
A l'évidence, le contraire d’être un, ce n'est pas d’être deux, c'est d’être intime.
Le « je » aime non seulement pour ce que l'autre est, mais aussi pour ce qu'il est au sein du « nous ». L'un des fondements de la constitution du couple est donc aussi le désir de trouver l'objet affectif capable de donner au « je » une complétude narcissique.
Il apparaît ainsi que la vie de couple pourrait reposer sur un leurre, une agression, comme s'il s'agissait pour chacun des « je » de prendre possession de l'autre; « c'est ma femme ou mon homme ».
Ainsi, la vie de couple viserait autant à vouloir transformer l'autre à son profit, qu'à être l'instrument de sa propre transformation.
Un couple est la mise en vie d’un égoïsme à deux.
Le couple, en tant qu'entité sociale, ne saurait donc être réduit, ni à une fonction d’antidote à la solitude, ni à celle d’une unité fonctionnelle de deux êtres. Vivre en conjugalité, c'est ne plus être seul, mais ce n'est pas qu’être ensemble. Le couple est un projet élaboré à deux pour réaliser des projets; se marier, être heureux ensemble, faire un enfant, acheter une maison...
Un couple existe aussi quand deux personnes se pensent en tant que couple et qu’elles se créent ensemble des représentations et des idéaux communs sur ce qu’est leur couple.
Un couple est alors une trilogie (je, aimer, toi) qui n'existe que lorsque chacun conçoit et accepte pleinement que son partenaire est un être qui a librement décidé de conjuguer sa vie au pluriel avec soi.
Le miracle du couple, pour chacun des partenaires, c'est alors de resserrer le monde autour d'un projet commun qui donne sens à la vie. Même s'il fait chambre à part, un couple fait rêves communs.
Un couple est un « Nous » conjugué au futur.
Un couple est, dit-on, fait d'amour... Maladie d'amour, amour fou, amour aveugle. Certains psychanalystes définissent d’ailleurs la rencontre amoureuse comme un emboîtement de deux névroses complémentaires. Chacun sait aussi qu'on tombe amoureux comme on attrape une maladie, avec parfois même des symptômes physiques qui ne trompent pas. Il semblerait donc que le couple soit une maladie que l'on se choisit à deux, et dont on souffre avec plaisir.
« Je t’aime, moi non plus » chantait Serge Gainsbourg., « Si tu m’aimes, ne m’aime pas » a écrit Mony Elkaïm. L’espace du couple est celui des contradictions impossibles où se confrontent des références divergentes;
- Entre l’individu et le couple / Entre la recherche de l’épanouissement personnel et la nécessité de renforcer constamment la cellule conjugale,
- Entre le désir brûlant de vivre à deux et la peur du couple,
- Entre l'idéal d'une harmonie fusionnelle avec ses délices de l'abandon et de la dépendance amoureuse et l’importance croissante donnée à l’individualité, à l'égalité des sexes et à la liberté individuelle,
- Entre l'oubli de soi qui entraîne un attachement sans condition et la libre mise à disposition de soi,
- Entre la volupté de la passion amoureuse qui est de ne plus s'appartenir et la volupté du moi qui est de ne jamais s'abandonner,
- Entre le besoin de sécurité du conjoint et l’envie d’aventure de l’amant ou de la maîtresse,
- Etc.
Le couple est investi d’exigences parfois inconciliables. Vivre à deux nécessite donc de développer la capacité de gérer des paradoxes …
En guise de clin d'œil, je souhaite d'ailleurs illustrer ce lieu du paradoxe par l'une de ses déclinaisons sociétale et judiciaire récente; Alors que la loi introduit depuis peu la notion de viol entre époux, la justice vient de condamner un homme parce que « Faire l’amour, c’est la loi ! ». Cela a été, en effet, le cas de Jean-Louis, Niçois de 51 ans, en plein divorce, qui a été condamné en mai 2011 à verser 10 000 euros de dommages et intérêts à son ex-épouse pour « absence de relations sexuelles pendant plusieurs années ».
Ainsi, la justice légifère maintenant sur les conditions de la réussite d’une vie à deux. C’est, en fait, tout notre système sociétal qui « pousse au couple ». Sans nous en rendre compte, nous sommes en effet tous les jours soumis à une pression sociale phénoménale autour de la relation de couple ; Religions, traditions, éducation, cinéma, médias, tarifs économiques avantageux, Etc. Seuls les couples sont acceptés dans notre Arche de Noé.
Certains affirment d'ailleurs que le couple est comme une merveilleuse prison, un lieu choisi de détention et de travaux forcés extrêmement performant. Ici, les barreaux sont sociaux, comme la peur d'être critiqué, si on quitte son conjoint. Ils peuvent aussi être financiers ou pratiques. D'autres barreaux, peut-être plus efficaces encore, sont la peur de la solitude, la dépendance affective, l'angoisse de se perdre en perdant l'autre, les réflexes de solidarité à l'égard de l'autre…
Les étapes de la vie en couple
L’époque du mariage arrangé, souvent contractualisé par les familles autour d’intérêts sociaux ou économiques communs, a maintenant laissé place à une société où les partenaires se choisissent « par amour » et décident ensemble de former un couple. Ce n'est plus le mariage qui est l'institution, mais l'amour; les sentiments sont désormais au centre de la relation de couple et l'exigence d'amour, avec son corollaire d’un bonheur obligatoire, un postulat indispensable de la vie commune. Le couple actuel naît et cherche à perdurer sur la seule force d’une rencontre avec l’amour.
Généralement, un couple commence donc, aujourd'hui, par une étape fusionnelle incontournable : C'est celle de la passion amoureuse et sa délicieuse inconscience de l'autre, où chacun idéalise son conjoint.
La passion amoureuse a naturellement un côté merveilleux. Elle pousse deux êtres l’un vers l’autre avec une fougue qui ne s’encombre pas de la raison.
L'autre est alors l'objet parfait qui comble nos désirs fusionnels de communication et de compréhension. La passion amoureuse est conçue comme un état idyllique où chacun s'ingénie à correspondre au désir de l'autre, ainsi qu'à gommer les différences et les oppositions génératrices de conflits. Aimer, c'est alors préférer l'autre à soi-même. Cette fusion devient alors confusion et on peut ainsi être éperdument amoureux de son partenaire, sans savoir qui il est réellement.
Quand elle est réciproque, la passion amoureuse est une des plus belles réalités de la vie. Elle procure le sentiment de vivre intensément. Elle vient étancher cette soif profonde d'être aimé.
La passion se consomme sans modération, elle nous fait pousser des ailes dans le dos, elle inspire des poèmes, nous donne envie de chanter sous la douche, nous porte aux sommets du bonheur et plus haut encore, mais elle nous tourmente également, nous conduit parfois à de brutal accès de désespoir et nous ravage (D'ailleurs, rappelons-nous qu'étymologiquement, le mot passion vient du latin passio qui veut dire « souffrance »).
L'amoureux transi dit toujours pouvoir rompre, mais ne s'y résout jamais ; il promet de se maîtriser, mais appelle quand même l'autre vingt fois par jour ; Coup de foudre, exaltation, euphorie, pulsions inconscientes, excitations intenses, pensées obsessionnelles, recherche de plaisirs immédiats, dépendance, état de manque...
La passion fait plus penser à une drogue dure qu'à un sentiment sublimé !
Il semble d’ailleurs que l'amour (la passion) affecte la chimie cérébrale. Différentes études sont, en effet, arrivées à la conclusion que, chez la personne amoureuse, il y a augmentation sensible de phényléthylamine cérébrale, ce qui maintient l'état émotionnel à un niveau supérieur.
La passion amoureuse vit l'instant présent, ne se retourne pas sur le passé et ne s'inquiète pas de l'avenir.
La passion est éternelle… du moins, tant qu'elle dure. Mais un jour, celle-ci diminue... elle se rend compte que son prince charmant se conduit parfois comme un crapaud et laisse traîner ses chaussettes sales, il s’aperçoit que sa princesse peut être équipée d'une langue acérée et que le devoir conjugal lui donne parfois des migraines inexpliquées …
« Tu as bien changé depuis que je te connais, tu n’es plus le même ! » Faux, bien sûr... Avec le temps, chaque partenaire constate en fait que l’autre est différent de ce qu'il avait imaginé et, surtout, qu’il ne répond pas à toutes ses attentes.
On prend alors contact avec la personne réelle avec laquelle nous sommes en amour.
Il est ici fréquent de parler d’usure de l’amour avec le temps, mais à bien y regarder ce n’est pas l’amour qui s’use mais plutôt nos illusions, nos fantasmes, nos représentations idéalisées de l'autre. Aussi cette usure est en fait le véritable départ vers la connaissance profonde de l’autre qui conduit à construire ensemble une nouvelle forme de relation basée sur un amour plus authentique.
On y découvre l’autre sous un jour nouveau. L'amour peut prendre alors sa vraie dimension, à partir du moment où chacun se révèle à l’autre avec sa véritable nature, sans les détours de la séduction et les obscurcissements du début, c’est à dire quand chacun voit l'autre tel qu’il est et non plus en idéalisant son image.
De deux choses l'une ; soit cette découverte est insupportable et on rompt, soit l'histoire du couple commence alors sur un autre plan, celui de la relation amoureuse.
Pour que la relation amoureuse naisse de ce feu, il faut qu'il y ait « une deuxième rencontre », qu'on apprenne à se connaître franchement, que chacun parvienne à réussir le deuil de cette étape idyllique. Cette période est particulièrement complexe, et le couple y est alors extrêmement fragile.
Ce qui va favoriser cette transition provient de la confrontation au quotidien, du maintien d’une certaine complicité née de la passion, de la volonté de rester ensemble, des projets de l’un avec l’autre, d’une certaine obligation à rester ensemble au regard de ce qui a été construit conjointement et aussi d’une certaine forme d’inertie synonyme d’une réticence à changer et à partir dans l’inconnu (Pascale Samson).
La passion amoureuse ne s’oppose pas à la relation amoureuse. Il s’agit de deux étapes différentes, toutes deux importantes, dont l'une prépare l'arrivée de l'autre. La passion amoureuse nous ouvre, elle nous permet d'accueillir l'autre pour installer, avec elle ou lui, les conditions d'un amour durable.
Passer de la passion amoureuse à la relation amoureuse, c’est passer du besoin de l’autre à une ouverture à l’autre, c'est passer de l'imaginaire à la réalité (Thierry Tournebise), de la folie partagée à la prise de conscience du réel, d'un embrasement narcissique au lien d'amour durable, d'une symbiose magique au don désintéressé de soi, de l'impérieuse recherche de l'intensité des sentiments à l'amour de l'autre, du règne de l'émotion aux sentiments, d'un état de béatitude où tout semble possible à la vie à deux, de l'instant au parfum trompeur d'éternité à la durée...
« Je t'aime, passionnément, à la folie ». La passion amoureuse, c'est aimer l'amour, ce n'est pas aimer l'autre. La passion amoureuse est une déclinaison narcissique du sentiment d'amour alors que la relation amoureuse est un mouvement intense vers l'autre.
Nous «tombons» amoureux, nous sommes «mordus», «pincés», «frappés». La passion amoureuse est une violence dans laquelle le sujet se perd, ne s'appartient plus. Elle nous submerge et nous envahit, elle grandit et s’exalte de sa propre histoire. Dans le cas de la passion, c’est l’amour qui nous domine, dans l’autre nous construisons à partir de projets bien concrets.
La passion amoureuse se construit sur des attentes qui deviennent des exigences, se nourrit de leurres, se perd entre besoins et désirs. La passion amoureuse, c'est le rêve « du tout en un et du tout ou rien » (Pascal Bruckner). Faire couple, par contre, est une décision, une volonté de faire d'une passion un projet de vie commune, pour construire ensemble et partager.
La relation amoureuse est un projet, une éthique, une pratique. Un couple, c'est alors une alliance de deux donneurs qui savent partager.
Pour paraphraser Saint Augustin, une relation amoureuse existe « quand chacun devient conjugal, à l'intérieur de lui-même ».
La passion prend appuie sur la nouveauté, la relation amoureuse parvient à se renouveler avec du vieux. Dans un cas, la simple baisse de la passion ou les épreuves de la vie conjointe peuvent suffire à mettre fin à l’union. Dans l’autre, ils servent de ciment pour lier le couple. La passion amoureuse peut se terminer dans la haine de son partenaire, la relation amoureuse cherche à comprendre, peut accepter et pardonner.
C'est la passion qui rend aveugle chacun à la différence de l'autre, d'un autre qui, par ailleurs, se cache partiellement pour mieux séduire - alors que la relation amoureuse n'a de cécité que celle qu'elle se choisit.
Aimer, c'est alors être capable de fermer les yeux quand il le faut. Aimer, comme l'écrivait Saint-Exupéry, c’est regarder ensemble dans la même direction. Si la passion rend aveugle, souvent par éblouissement, la relation amoureuse, au contraire, exige beaucoup de lucidité !
S'aimer, c'est avoir faim ensemble et non pas se dévorer l'un l'autre (Gustave Thibon).
Si le « Je t'aime » de la passion signifie « j'aime que tu m'aimes » et « je te posséderais », celui de la relation amoureuse veut dire « je m'engage ». Dans la relation amoureuse, nous devenons capables d’aimer l'autre pour ce qu’il est et non pas pour ce que nous voulons qu’il soit.
Aimer, c’est alors admettre que l’autre est différent et se nourrir de cette différence.
Les sentiments qu'on lui portait se colorent différemment, ils se nuancent de réalisme, quittent l'exaltation pour entrer dans une phase plus apaisée, plus sécurisante, plus profonde, plus respectueuse…
Les emportements pulsionnels et la fougue érotique s'estompent alors au profit de la tendresse et d'un attachement plus raisonné. Ainsi, nous commençons à formuler des souhaits de stabilité et d'avenir. Chaque moment passé avec l'autre est porteur de sens et s'inscrit dans un projet de vie. La sexualité elle-même sort de sa frénésie pour viser l'accomplissement non plus des pulsions seules mais aussi de l'amour ressenti.
Après le plaisir tiré de la découverte, le couple passe ainsi dans une phase durable où le bonheur naît de la confiance et du partage des mondes personnels de chacun des amoureux.
Pour chacun des partenaires, la relation amoureuse repose alors, avant tout, sur la volonté du bien-être de l'autre.
Si la mesure de la passion est d'aimer sans mesure, la relation conjugale acclimate l'amour, elle l'installe à côté des choses de la quotidienneté. Pour paraphraser Boris Cyrulnik, « Si la passion amoureuse est une surprise qui nous arrache à l’insipide, la relation amoureuse est un lien qui se tisse au quotidien ».
Entre la recherche désespérée et vaine d’une passion immortelle et les petits aménagements d'une cohabitation résignée, la relation amoureuse est l'écrin qui contient le lien d’amour qui se tisse, chaque jour, entre les deux partenaires.
« Dans un couple, peut-être que l'important n'est pas de vouloir rendre l'autre heureux, mais de se rendre heureux et d'offrir ce bonheur à l'autre ».
Construire une relation amoureuse durable nécessite, alors, que chacun des deux partenaires ait suffisamment d'amour de soi.
« Si je ne m’aime pas, je pourrai difficilement aimer l’autre, puisque je serai dans le besoin et l’exigence d’être aimé. Lorsque l’on ne s’aime pas, on pense que l’on n’a rien à donner de valable et d’intéressant, et lorsque l’on donne, on a le sentiment d’être dépossédé, par une sorte d’équation inconsciente d’avoir "un moins" en soi. Le genre de relation amoureuse qui s'en suit est un jeu fou de miroir, qui repose sur une mission impossible : tenter pathétiquement de donner à l’autre ce que lui seul pourrait s’offrir, de l’amour envers lui-même » (Jacques Salomé).
La relation amoureuse semble parfois, aussi, teintée d'une certaine forme de lutte pour le pouvoir, ce qui semble tout à fait paradoxal dans un contexte d'attirance mutuelle, de passion réciproque et de désir partagé de réaliser les mêmes rêves. A ce propos, Carl Gustav Jung a dit : « Là où règne l'amour, point de volonté de pouvoir ; là où prédomine le pouvoir, l'amour n'a pas sa place. L'un à l'autre porte ombrage ».
« Aimer ce n'est pas enfermer l'autre, aimer c'est vouloir que l'autre s'épanouisse, suive le courant naturel de la vie. Aimer, ce n'est pas mutiler l'autre, le dominer, mais l'accompagner dans sa course, l'aider. L'amour vrai est le contraire de la volonté de puissance. » Martin Gray
La relation amoureuse, ce ne peut pas être de la soumission aveugle, mais, au contraire, une alliance victorieuse de deux êtres. La vie de couple s’organise autour de deux fidélités ; fidélités à l’autre et fidélité à soi.
Si l’art d’aimer est celui de vivre en faisant exister l'autre, de se trouver en se livrant, de recevoir en se donnant, de s'augmenter en s'oubliant, l’art de se conjuguer est celui de partager, d'honorer l'autre dans sa différence et de s'en émerveiller, et de savoir reconnaître, au-delà de soi, les possibles fragiles et vulnérables d'une vie à deux, les ancrages qui nous habitent durablement, les émerveillements qui nous réunissent et nous projettent dans un avenir commun.
La communication au sein du couple
On tombe amoureux, sans le faire exprès, et on ne peut pas y faire grand-chose.
Vivre à deux, c'est pareil, on ne sait pas grand-chose, on essaie.
Au début, l’amour est un cadeau, après, c’est une volonté. La relation amoureuse se pratique, s'apprend et se partage. Elle ne se prédit pas, elle se construit jour après jour, au fil des expériences, des essais et des erreurs.
Il faut, chaque jour, conquérir son couple, le façonner, le comprendre et vouloir passer au-dessus des difficultés pour continuer à jouir de ses acquis.
La vie de couple demande des efforts. Si, nous dit-on, l’amour rime avec toujours, vivre en couple c’est s’appliquer à aimer tous les jours. Rien n’est jamais acquis.
Le couple n’est pas un état, mais un processus. La vie conjointe est une construction fragile, quotidienne et infinie, un perpétuel devenir.
En accordant un accès en profondeur à notre personne, nous nous exposons fatalement à être ébranlé psychiquement et remis en question dans nos comportements et attitudes. Pour maintenir une relation satisfaisante, durable et épanouissante, il ne suffit pas d’adopter des attitudes d’ouverture à l'autre, il faut aussi travailler à régler les problèmes inhérents à une vie quotidienne partagée et prendre soin de la relation, dans toutes ses dimensions; sentimentale, sociale, spirituelle, familiale, sexuelle, etc.
Vivre ensemble est un bonheur, mais aussi un défi; celui de l'intimité.
Certains événements de la vie, comme le deuil, la dépression, la pression des études ou du travail, rendent parfois temporairement indisponibles à l'amour... A l'inverse, la vie à deux offre aussi des périodes de plénitude et de plaisirs intenses …
Un couple est une recherche permanente d'équilibre ; entre les apports de chacun des deux partenaires, entre harmonie et concession, entre routine et passion, entre respect de la liberté de l'autre et complicité, etc. Le maintien de ces équilibres précaires est l'un des défis les plus difficiles que doit affronter quotidiennement le couple.
Cette quête continue s’enracine aussi dans les récentes évolutions sociétales des droits des hommes et des femmes qui ont fortement impactées le modèle actuel du couple, maintenant d’avantage basé sur une conception très égalitaire des rapports entre l’homme et la femme où les échanges sont régulés par la parole, le dialogue et la négociation.
Dans la vie conjointe, l’amour est dissimulé dans les petites choses de la vie. Elles n'ont souvent l'air de rien, mais elles cimentent la vie à deux.
La croyance quasi universelle fondée sur l'évidence d'un amour permanent et sans faille, entendu et reçu comme un gage de bonheur durable, nous fait trop souvent oublier qu'une relation vivante s'entretient, se nourrit, se respecte. Une relation ne se suffit pas à elle-même. Elle a besoin, pour vivre et durer, que chacun y mette du sien.
Quand on aime, il ne suffit pas de le dire, il faut le montrer, le partager, le vivre, le transpirer. Il n'y a pas d'amour éternel, il n'y a que des preuves quotidiennes d'amour. Qui oublie cet axiome de bon sens, met son couple en danger.
Un couple se cultive et se nourrit. Un des piliers du couple semble donc être la communication « réelle » qui fait et refait l'amour, et maintient le « nous ».
Communiquer, cela ne peut être alors ni tout se dire, ce qui signifierait qu'on reste dans l'illusion de la fusion, ni se contenter d'échanger de l'information. Communiquer, c'est se relier à l'autre, mettre en commun, s’ouvrir, partager, exprimer ses émotions, être sensible au non-verbal, se toucher, ressentir, se confronter, se soutenir, se comprendre, se faire confiance, offrir, ...
Dans un couple il ne suffit pas de parler, encore faut-il s'entendre, se comprendre, avoir des choses à se dire, pouvoir s'exprimer et savoir s’écouter.
Faire couple, c'est être capable de se prolonger dans la relation à l'autre.
Le conflit
Mais Vivre en couple n'est pas si naturel qu'on le dit. En effet, vivre à deux est un exercice particulièrement complexe.
S'aimer durablement, ce n'est pas s'aimer tout le temps.
La vie à deux a ses périls; toutes les heures n'y sont pas parfaites. Inexorablement, la vie de couple passe régulièrement par des phases difficiles car non désirées, le plus souvent refusées par l'un des deux protagonistes ou acteurs du couple, parfois par les deux ; « le conflit ».
Qu’il s’agisse de discorde légère ou de dispute animée, les conflits conjugaux font partie intégrante de la vie de couple.
Vivre à deux, c'est aussi une série de malentendus, de désaccords, de discordes, de déchirements… suivis de raccommodements et de pardons.
Le couple, c’est autrui à bout portant (Jacques Chardonne).
Vivre ensemble, c'est quelquefois se meurtrir l'un l’autre. Le meilleur et le pire sont, bien souvent, le recto et le verso du quotidien du couple. Si la vie à deux simplifie la vie, elle complique parfois la journée.
Un couple, cela peut être parfois le long baiser d’éternité du cinéma romantique, mais quelquefois aussi, une association fragile de deux cons – joints.
Un couple est parfois tendu, parfois tandem / tantôt duo, tantôt duel.
Dans son livre « Heureux en amour », Claude-Marc Aubry montre que les partenaires d'un couple sont confrontés à ce que le philosophe Arthur Schopenhauer appelait le dilemme des porcs épics : ils ont à la fois un très grand besoin de se rapprocher, mais aussi de s’éloigner pour ne pas se faire de mal par une trop grande proximité.
Trouver constamment la bonne distance entre eux, et donc aussi entre l'intimité personnelle et l'intimité partagée, est extrêmement complexe.
Dans cette optique, la scène de ménage peut apparaître comme une bonne façon de résoudre ce dilemme. En se confrontant plutôt qu’en s’affrontant, elle permet de montrer ses désaccords, de se différencier, de s’affirmer, d'établir ses limites et de se mettre à distance, ou, au contraire, de marquer l'insupportable de l'éloignement et se rapprocher, notamment, parfois, par une bonne réconciliation sur l'oreiller (Ce n'est donc pas un cliché d'affirmer que la relation amoureuse se développe aussi dans l'intimité d'une chambre noire).
Une relation de couple n'est pas statique, mais dynamique. Les mésententes que les partenaires doivent résoudre jour après jour prouvent que leur union est une réalité vivante. C'est parce que quelqu'un nous résiste que nous réalisons notre existence, et la sienne. L'autre nous révèle à nous-mêmes.
Les querelles du couple éclairent ce qui resterait caché dans une existence sans couleur. Le conflit conjugal n'est pas un tribunal mais une rupture bénéfique qui débloque certaines situations en permettant aux problèmes de faire surface.
Si la plupart du temps, le conflit met en danger l’équilibre relationnel au sein du couple, malgré les désagréments qu'il suscite, il est aussi un facteur nécessaire d'équilibre et de changement dans le couple. Le conflit permet au « Je », au sein du « Nous », de s'identifier en se différenciant. Il favorise la maturation des partenaires et donc, du couple. Il est le signe que le couple est vivant.
Quand les querelles conjugales sont bien gérées, elles conduisent chacun à se responsabiliser, à remettre salutairement en question ses valeurs et ses motivations, à prendre en considération les points de vue de l'autre. Une dissension dans un couple est donc utile en ce qu'elle oblige chacun à être attentif à l'autre, à le regarder et à l'écouter. Le conflit est un langage qui va manifester la nature de l'autre et permettre de mieux le connaître.
Mais, faire face sereinement au conflit n’est pas toujours simple. « Nous ne sommes jamais aussi mal protégé contre la souffrance que lorsque nous aimons » déclarait Freud.
La vie conjointe, ce n'est pas de fuir dés que le tonnerre gronde, mais d'apprendre à danser sous la pluie. Lorsque la tempête souffle, puisqu'on ne peut changer la direction du vent, il faut apprendre à réorienter ensemble les voiles de notre galère.
Les couples connaissent tous des sujets de mécontentement, des conflits non résolus et des discussions parfois pénibles. Ce qui permet de dépasser ces moments complexes, doit être, à mon avis, la volonté de rapprochement des deux conjoints basée sur le respect et le plaisir d'être ensemble. Dans un système homéostatique qui vient créer les conditions de sa survie, parfois à tout prix, seule la force de la relation amoureuse peut donner, chaque jour, la volonté de se réconcilier et de projeter son couple dans un futur réinventé à deux...
Les conflits peuvent alors se régler lorsque que, dans leur vie quotidienne, les partenaires forment un couple « émotionnellement intelligent », c'est à dire qu'ils sont parvenus à établir une dynamique qui empêche leurs pensées ou sentiments négatifs à l'égard l'un de l'autre de submerger leurs pensées ou sentiments positifs (Daniel Goleman).
Conclusion
Je ne pense pas avoir évoqué tous les aspects de cette alchimie improbable qu'on appelle couple, et qui tient parfois plus de la magie que d'une science humaine. Alors, je finirais par quelques nouvelles questions que vous pourrez emporter au creux de votre curiosité.
- Alors que plus de la moitié des couples mariés divorcent et que le nombre de familles monoparentales ne cesse d'augmenter, d'où vient cette conception persistante d'une vie à deux reposant sur l'amour, l'épanouissement et la fidélité ?
- Puisque chaque couple est singulier, ne doit-on pas conjuguer le couple au pluriel ?
- Alors que le mot même « couple » se décline au masculin comme au féminin, quels sens peut avoir certains débats sociaux actuels qui voudraient que le couple reste résolument mixte ?
- La véritable leçon de la vie de couple, n'est-elle pas qu'en amour il n'y a pas de leçon possible ?
- Pourquoi vivre en conjugalité, c'est parfois « Faire l'amour par la guerre ! », quelquefois même jusqu'à la faute de frappe ?
- Le dicton populaire a-t-il raison lorsqu’il déclare que le sexe est le prix que paient les femmes pour faire couple, alors que le couple est le prix que les hommes paient pour avoir du sexe ?
Pour ne pas conclure, je finirai mon propos par cette citation de Jean Cocteau : « Le verbe aimer est difficile à conjuguer : son passé n'est pas simple, son présent n'est qu'indicatif, et son futur n'est toujours que conditionnel ».