Discours Marc DEMANZE
marc on 10/29/2021


Le discours du récipiendaire

Peu avant Noël dernier, lorsque j'ai appris que le Préfet du Pas-de-Calais m'avait décerné la Médaille de Bronze de la jeunesse, des sports et de l'engagement associatif, à la fois étonné et honoré, j'ai toutefois décidé de taire cette distinction - car je ne souhaitais pas faire de publicité à mon implication et trouve plutôt satisfaction dans la concrétisation d'un projet ou dans le regard de celui ou de celle qui, couché(e) par la vie, s'est enfin redressé(e).

Puis, quelques temps après, je recevais un nouveau courrier, signé de la main du Président de la République, m’annonçant ma nomination au grade de chevalier de l'ordre national du mérite, au titre du Ministère des solidarités et de la santé.

Un tel honneur ne refuse pas, me dit-on, et mon entourage a su, à force de persuasion, me convaincre d’accepter aussi l’organisation de cette cérémonie de remise d’insigne qui nous rassemble aujourd’hui.

Au crépuscule de ma carrière, je reçois donc cette décoration avec renaissance, joie, fierté mais aussi une certaine forme de gène de me trouver ainsi dans la lumière de ce projecteur républicain.

L’ordre national du mérite a pour vocation de récompenser et d'honorer des « mérites éminents » qui sont le résultat d'un engagement personnel au service de l’intérêt général.

A mon avis, il y a peu de mérite à faire un travail qui nous passionne, et je suis convaincu que notre guerre contre la pauvreté et ses conséquences humaines désastreuses n'est pas une aventure qui se nourrit de gratifications, et qu’au contraire, ces mains tendues vers autrui n'appellent d'autres récompenses que celles du cœur.

Je reste aussi persuadé que mon investissement personnel n’a finalement de sens et de valeur qu'à travers l’œuvre quotidienne de l’ensemble des acteurs de notre association.

J’ai alors pensé à René Barras, notre Président fondateur, qui avait reçu la légion d'honneur des mains de l’Abbé Pierre, puis Anne Marie qui s’était vue, à son tour, décerner l’ordre national du mérite, et il m’est apparu que c'est avant tout l’APSA qui était mise à l'honneur et que cette redondance de l’État signait en fait une véritable reconnaissance de notre association, au service de nos concitoyens les plus en difficultés.

Si René avait offert l'honneur qui lui était fait à la légion d’horreur de tous ceux, trop nombreux, qui survivent dans la misère, et si Anne Marie avait intimement associé à son militantisme méritoire les organismes où elle s’investit depuis de si nombreuses années ; bailleurs et associations…

… dans ces temps contraires où notre action quotidienne devient souvent si complexe, j’ai plutôt choisi d’évoquer avec vous mes origines d'éducateur spécialisé et de profiter de cette tribune qui m’est offerte aujourd'hui pour sortir un instant les intervenants sociaux de ces huit-clos obscures de la relation d'aide et partager avec eux cet hommage qui m'est fait aujourd’hui.

Car aujourd'hui n'est pas mon jour, c'est celui de tous ceux qui donnent en se donnant ; ces rafistoleurs de déchirure humaine, ces briseurs de solitude, ces tisseurs du droit commun, ces créateurs de possibles, ces combattants de la misère, ces agitateurs de certitude, ces révoltés de l’indifférence, ces pourfendeurs de préjugés, ces citoyens engagés de notre fraternité républicaine ; en fait, et même s'ils s'en défendent âprement, ces faiseurs d’amour !

N'en doutons pas, grâce à cet engagement exemplaire, à chaque fois qu'une victime de la misère retrouve le souffle de la dignité, à chaque fois qu'un « exclu » se considère à nouveau comme un citoyen, à chaque fois qu'une personne renoue avec les bienfaits de l'égalité et de la liberté, à chaque fois qu'un homme sourit à nouveau devant le reflet du miroir de sa vie, l’intervenant social grandit notre société !

La lutte contre la misère, l'exclusion et les injustices sociales est une guerre sociétale impitoyable et les intervenants sociaux, les soldats désignés par l’État pour être au front de ces combats.

J’adhère ainsi totalement aux propos de monsieur Borloo quand il déclarait que le travailleur social est l’un des « héros de notre République ».

S’appuyant sur des principes de solidarité, de justice et d’accès aux droits pour tous, celui-ci protège, guide et émancipe. Par toutes ses actions, il s’inscrit, porte, voir même sublime nos valeurs républicaines.

Cet héros de l’invisible, en contribuant à promouvoir le changement social pour une meilleure cohésion de notre société, est aussi un fou du roi essentiel à notre système ! Il invente, imagine, explore, crée, inspire, mais aussi, parfois, dérange, en participant activement aux évolutions de notre monde.

Là où certains ne voient dans ce travail que gesticulation gauchiste, que dilapidation budgétaire, qu’assistanat aliénant, au fil des ans, j’ai quant à moi appris à y voir du génie !

Les métiers du social sont difficiles et les travailleurs sociaux qui côtoient tant de souffrance ont bien du mérite ! Je reçois donc cette médaille comme celle qui revient naturellement à toute une profession, à mon avis trop souvent oubliée des pouvoirs publics, comme nous l’avons encore malheureusement déploré récemment, à l’occasion de la crise de la covid et en étant écarté des conclusions du Ségur…

L’action sociale est un investissement incontournable de notre société au service de ses citoyens, de sa cohésion, de sa paix, de son avenir durable !

Mais, de plus en plus écrasé par l'importance du désastre, sacrifié sur l’autel du libéral décomplexé, asphyxié par des considérations économiques, étouffé par la montée de l'individualisme et des populismes, intégré au dénigrement ambiant des plus pauvres, le travailleur social semble devenir, de plus en plus, une relique abandonnée de l’État providence, un agent démuni de la paix sociale, un intermittent désœuvré de la solidarité nationale ...

J'ai parfois l'impression amère que notre action au service des autres ressemble de plus en plus à un radeau qui promet la tempête, à une bouée qui assure du naufrage !

Pire, le travailleur social baigne aujourd’hui dans un pessimisme cancérigène où, dans son coin, il répète et radote que l’initiative sociale et collective, le fait de lancer quelque chose en commun, de rêver ensemble ; tout cela serait perdu d’avance !

Cette situation me semble particulièrement grave, car ce en quoi on ne croit pas, nous empêche aussi de voir ce qui pourrait être.

Il nous faudrait aujourd’hui retrouver, ensemble, cette volonté de produire dans le possible du social.

Plutôt que de courir sans cesse à perte pour réparer, je partage ainsi avec vous le rêve d’un véritable projet de société qui redonnent de l’ambition à notre fraternité républicaine en investissant massivement dans l’accompagnement, l’éducation, la formation, la santé.

C’est, je crois, le seul chemin possible qui puisse nous permettent de construire ensemble un avenir qui envisage ...

Mais je m’excuse ; comme à mon habitude, je m’égare ! Revenons à cette médaille qui nous rassemble aujourd’hui !

Je ne connais pas avec certitude la genèse de la démarche ayant conduit le Président de la République à me décerner cette distinction.

Notre implication dans la gestion de la crise de la covid n’est plausiblement pas étrangère à ce choix, mais j’imagine qu’à l’origine, c’est probablement aussi une initiative que je dois à des fonctionnaires qui s'engagent régulièrement aux côtés de notre association, dans le cadre de leurs missions régaliennes.

C'est donc d’abord à ceux-ci que je dédierai mes premiers remerciements ; car si l’on dit communément que l'administration n’a pas de cœur, je témoigne, à l’inverse, que ceux qui la servent le font bien souvent avec une humanité des plus exemplaires !

Et à chaque fois que fonctionne cette chaîne des fraternités partagées, entre intervenants sociaux et agents engagés d'une administration, se crée assurément l’une des plus merveilleuses armes de construction massive de notre société !

Merci donc à Madame la Directrice de la DDETS du Pas de Calais, Mesdames et Messieurs les représentants de l’Etat, Mesdames et Messieurs les élus ou salariés des collectivités locales et départementales, chers partenaires ; votre présence démontre, à mon sens, l’importance que nous donnons à ces engagements partagés, chacun dans nos rôles et fonctions, au service des autres et du bien commun.

Un merci particulier à Sylvain, Monsieur le Maire de Lens, pour son accueil si chaleureux.

Je voudrais aussi avoir une pensée toute particulière pour René qui devait être avec nous aujourd'hui mais m'a appelé hier soir pour s'excuser de ne pouvoir être des nôtres, ayant chuté lourdement mardi soir. Je lui souhaite un prompt rétablissement et suis triste de son absence ; Sans lui, cette fête n'a pas tout à fait le même gout !

Je remercie aussi toutes les personnes qui n’ont pu être présente et se sont excusées, souvent avec des petits mots d’affection qui m’ont particulièrement touché.

Je tiens naturellement aussi à exprimer toute ma gratitude à ma marraine du jour, Anne Marie, ancienne fonctionnaire devenue présidente de l’APSA, ce qui prouve au passage que ce lien entre administration et association n’est vraiment pas une friction.

Celle-ci, si activement complice de mon militantisme associatif, depuis de si nombreuses années, a bien voulu me remettre cet insigne et je suis particulièrement sensible à cette marque d’amitié.

Une médaille engage celle ou celui qui la porte et croyez bien que celles qu’Anne Marie et moi-même arborons ensemble devant vous sont le fruit d’un engagement commun, celui d’œuvrer pour une société plus juste, fraternelle et inclusive qui se décline au quotidien par la mise en acte d’une ambition solidaire partagée ; l’APSA.

Je réitère encore mes remerciements à l’ensemble des équipes de nos associations – car je le répète, c’est bien notre engagement pluriel et la qualité reconnue de notre œuvre commune qui sont distingués aujourd’hui, à travers moi.

Je m'autoriserai enfin une parenthèse plus personnelle, en associant Caroline à mes remerciements. C’est probablement la seule ici qui connait véritablement le revers de cette médaille et c’est à elle que revient assurément le plus difficile des mérites ; Sans sa compréhension complice devant mes horaires à rallonge, sans son attention permanente pour que mon allure ressemble un peu plus à ma fonction, sans son dévouement quotidien et son soutien attentionné, sans son amour qui m’est chaque jour si précieux, je ne serai pas le même homme et il n’y aurait probablement pas eu de médaille à décerner !

En fait, je crois que nous sommes ici nombreux à mériter d'être mis en valeur, parce que nous parcourons le chemin complexe de la vie avec bienveillance, parce que nous consacrons une part de notre existence au service d'autrui, parce qu'en donnant et en se donnant, nous changeons un peu la donne !

Merci donc à vous tous pour ce que vous faites, mais aussi et surtout pour ce que vous êtes.

Je vous remercie enfin d’être venus si nombreux vivre avec moi ce moment si particulier ; votre compagnie offre à cette cérémonie un peu trop protocolaire à mon goût, un écrin d’émotion qui me touche plus que je ne l’aurai cru et en fait une pépite qui restera gravée à jamais dans mon histoire professionnelle et personnelle …

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