Comment aider les personnes qui ne veulent pas d'aide
marc on 06/17/2015 updated on 06/24/2015


Comment aider ceux les personnes qui ne veulent pas d'aide...

Intervention Monsieur Guy Hardy, Assistant social. formateur en approche systémique, membre de l'Association européenne des thérapeutes familiaux lors de notre assemblée générale 2012

 « Pourquoi faut-il que la main qui donne soit toujours plus haute que la main qui reçoit? »

Lorsque nous recevons l’un de nos concitoyens « en difficulté » au sein d’un service social, il exprime le plus souvent une
« demande d’aide ». Or, cette demande, portée par le citoyen que nous avons en face de nous, peut ne pas être sa demande.

Elle peut, en effet, émaner d’une personne physique ou morale absente lors de l’entretien, mais dont la présence se fait sentir même si nous ne la repérons pas. Celle-ci (un assistant social, un juge, une association, un policier, un bailleur, un service d’État, un ami ou un membre de la famille, etc.), a repéré ce qui lui semble être un problème pour le citoyen que nous recevons, sans pour autant que celui-ci soit nécessairement en accord sur l’existence de ce problème. Il n’empêche que cet « envoyeur » dispose d’un pouvoir légal, administratif, moral, affectif, …sur le citoyen et qu’il peut de la sorte « exiger » du citoyen qu’il « obéisse » : La personne physique ou morale veut que ce citoyen change. Cependant, l’ « envoyeur » souhaite un changement qui ne soit pas que le résultat de sa coercition sur l’autre. Il souhaiterait que ce citoyen comprenne qu’il doit se changer.

Sachant qu’un changement de soi ne peut pas, à priori, s’imposer de l’extérieur, le vœu pieux et secret de l’envoyeur (personne physique ou morale) devient : « Je veux que tu te changes ». Mais comme nous savons que se changer nécessite de le vouloir soi-même, le vœu de l’ « envoyeur » vis-à-vis du citoyen devient, en fait : Je veux que tu veuilles te changer !

De plus, «  l’envoyeur » s’enferme dans son injonction en la complexifiant. En effet, il exige, de plus, que le citoyen soit aidé par un professionnel. Le vœu pieux de l’envoyeur devient donc: Je veux que tu veuilles changer et pour cela, je veux que tu veuilles l’aide d’un travailleur médico-social que tu n'as pas forcément choisi, pour un problème que je dis que tu as mais que tu ne reconnais peut-être pas !

Comment répondre à une telle injonction paradoxale ? Nous voilà au cœur d’un piège éducatif…L’aide contrainte…           

Dans ces situations, la ou les personnes qui sont objets de l’aide devraient vouloir ce qu’un tiers veut réellement. Face à l’injonction de ce mandant, le citoyen n’est pas passif. Il possède une marge de manœuvre entre trois alternatives possibles :

  • Le refus ou le repli...Mais lorsqu’une personne refuse l’aide dont un autre pense qu’elle a besoin, il est fréquent de ne pas y voir une affirmation de dignité ou la compétence à placer des limites à l’intrusion dans son espace intime qui sont pourtant contenu dans le rejet de l’aide...Mieux encore : le refus ou le repli provoque le risque de renforcer la conviction du mandant et de l’amener à des actes « punitifs » (exclusion d'un établissement, arrêt d'une prestation, placement des enfants, etc.).
  • Le plus souvent et vu les enjeux, l’alternative se trouve entre l’adhésion et l’adhésion simulé.

Comment distinguer ces deux types d’adhésions ? Comment avoir la certitude que la personne adhère réellement ?

La relation qui en découle s’inscrit donc dans un « faux-semblant ». Plusieurs conséquences apparaissent, contradictoires avec les objectifs du travail social :

- La demande est intrinsèquement marquée dès son début par la stigmatisation d’une incompétence, ce qui entraîne de fait un biais dans la relation qui va s’établir.

- Lorsque l’injonction d’aide précède la demande par la personne elle-même, cette dernière se voit dénier une compétence fondamentale : celle de demander de l’aide.

- Lorsque l’on aide une personne qui n’a rien demandé, elle apprend qu’elle n’a pas d’initiative à prendre, qu’il suffit d’attendre. Elle devient passive dans sa propre histoire jusqu’à parfois s’y perdre, attendant des autres (mandants et équipe mandatée) qu’ils agissent et régissent sa vie (contraire au principe éthique d’autonomie). Elles adoptent les comportements les plus adaptés à la situation.

            Il convient de noter que quelle que soit l’alternative choisie, les personnes ne trichent pas : elles se conforment aux règles du jeu lui-même piégé. N’oublions pas que les actes posés par la personne sont adaptatifs : ils constituent la meilleure réponse que la personne trouve dans un contexte particulier.

            Cela pose aussi de nombreuses questions ; qu’est-ce qui fait qu’un citoyen « non demandeur » obéit à un autre ? Quel rôle joue le travailleur social dans cette obéissance ? Aidons-nous la personne reçue ou le mandant ? Quel résultat au final ? Est-ce le problème énoncé qui a été, par l’aide, momentanément ou définitivement réglé, ou est-ce la personne qui a été soutenue dans son projet et dans ses compétences ? Quel sens pour notre exercice professionnel ? Si le jeu est piégé, à quoi servons-nous ? Ne renforçons-nous pas implicitement des attitudes et comportements que nous nous employons explicitement à faire évoluer ? Combien nous « coûtent » le sentiment d’impuissance professionnelle et l’usure qui en découlent ?

            Guy Hardy a tenté de nous montrer, au cours de cette journée, comment aider des gens qui au départ refusent néanmoins l’aide, et surtout il a montré quelle aide leur donner. Il illustre l’un des phénomènes remarquables de ce tournant de siècle : l’émergence de travailleurs sociaux compétents et formés qui s’aventurent sur des terrains où psychologues et psychiatres n’avaient jusque là pas acquis de compétences nouvelles. Il montre combien l’émergence du travailleur social en tant qu’alter ego d’autres disciplines, d’autres savoirs, d’autres compétences, est aujourd’hui devenu un phénomène de société : confronté à la violence du milieu, des quartiers, de la rue ; confrontés aux publics qui ne fréquentent pas les thérapies et les consultations, les travailleurs sociaux se trouvent désormais contraints de développer une « inventivité de survie », afin d’innover des modèles permettant d’engager leur mission d’aide, tout en se protégeant eux-mêmes. Et, forcément, ces modèles sont de nature à forger une culture nouvelle, laquelle donne au travailleur social une compétence qu’il n’avait jamais eue jusqu’ici, et l’oriente vers une fonction nouvelle en plein développement : celle du sociothérapeute...

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